Notre Société évolue et les écrivains se veulent, en quelque sorte, les témoins de leur époque, ils doivent donc prendre en compte les changements ou bouleversements contemporains. Est-il bien opportun de vouloir écrire selon les mêmes règles qu'au XIXème siècle ou selon des modèles-types vieillissants ? Bien évidemment que non : c'est un peu comme si l'on vivait encore sous les lois du siècle précédent : certaines sont obsolètes et deviendraient absurdes voire dangereuses. Tout se résume à la citation de Victor Hugo : « un lion qui copie un lion devient un singe ». Notre monde aurait-il perdu son imagination au point de passer la majeure partie de son temps à imiter ce qui existe déjà ? Nous en sommes tous victimes. Prenons l'exemple des véhicules terrestres : une fois que l'on en a essayé un, on a bien compris qu'il roule et quel qu'en soit le modèle. Pourtant, les voitures, aussi différentes soient-elles (esthétique, options,...) resteront des voitures et ne seront jamais des avions... Drôle d'évidence, non ? Et pourtant, ce type de raisonnement est parfois malmené. Aujourd'hui, la littérature ne jure que par la voiture par manque d'imagination. Malheureusement, le train s'impose comme transporteur d'avenir. L'auteur doit pouvoir s'adapter à son époque : ce qui n'évolue pas en fonction de son environnement finit toujours pas mourir (industrie,...). Il existe plusieurs facteurs poussant au développement du roman court appelé Novella en anglais (écrits se situant entre la nouvelle et le roman) que nous pouvons regrouper en 5 grandes tendances.
L'évolution sociétale
        Aujourd'hui, nous vivons dans une société de consommation avec tout le stress et les angoisses que cela engendre. Chacun manque de temps libre, se trouve de plus en plus «overbooké» et les causes sont multiples : le travail, le temps de transport, les enfants, les courses, la cuisine, le ménage,... sont notre quotidien. La plupart des gens n'a pas le temps de lire des livres trop volumineux. Certains le font. Ils se divisent en deux catégories : quelques irréductibles (9% selon les chiffres) qui lisent un ouvrage d'une traite et les autres qui s'y adonnent en plusieurs jours voire en quelques semaines. Peut-on penser savourer pleinement un ouvrage après avoir oublié les nombreux détails des pages précédentes ? Comment s'y retrouver ?
Le désir de simplicité
        Pourquoi ne pas revenir à quelque chose de plus simple, de plus court et de moins descriptif ? Cette idée n'est pas aussi puérile qu'on pourrait le penser : les anglo-saxons ont bien compris l'intérêt d'un ouvrage plus simple. Ne perdons pas non plus de vue que ce sont, bien souvent, des écrivains américains, britanniques ou des pays nordiques que l'on trouve dans les rayons des librairies du monde et ce n'est pas un hasard. Si on peut reconnaître qu'ils ne sont pas toujours plus courts que les autres, ils ont le mérite de s'adresser à tous, d'être universels. On peut expliquer cette différence par le fait que la langue anglaise est beaucoup plus simple que la nôtre. Ce dont le monde a le plus besoin, c'est de simplicité. Malheureusement, il arrive régulièrement que les gens confondent «simple» et «superficiel». Extraire de l'eau d'un puits au Niger est simple mais est-ce pour autant superficiel ? Sans eau, il n'y aurait pas de vie. Les choses simples peuvent encore nous surprendre et être à l'origine de grandes découvertes.
Le besoin d'universalité
        La littérature ne doit pas être l'affaire de quelques uns : elle devrait être magique pour chacun, qu'il soit maçon ou directeur, ouvrier ou chef d'entreprise,... Elle n'a pas vocation à servir une quelconque élite ou à creuser une fracture, elle doit servir l'égalité en se rendant accessible à tous : c'est un véritable droit (à la culture et à l'évasion dans un autre univers à partir de son fauteuil). Les lecteurs ne sont pas aussi nombreux qu'on pourrait le croire : la plupart lit moins de 5 livres par an (sondage TNS-SOFRES) et il existe encore une grande proportion de personnes ne lisant aucun livre. Si la mutation sociétale peut expliquer le ralentissement de la lecture, elle ne peut pas suffire à justifier son absence chez certaines personnes. Si vous n'aimez pas lire et que l'on vous propose un «pavé», pensez-vous que cela sera plus motivant ? Bien au contraire. Lorsqu'on fait de la randonnée, on ne commence pas par parcourir 100 kilomètres la première fois. Et bien, avec la lecture, c'est le même principe qui s'applique.
Les nouvelles attentes (Jeunesse et autres)
        On entend souvent dire que les jeunes lisent peu, c'est sans doute vrai ! Mais encore une fois, s'interroge-t-on sur les causes ? Pas si sûr. Quand on discute avec ces «non lecteurs», on découvre qu'en majorité, c'est la difficulté du vocabulaire de certains ouvrages et leur nombre de pages qui les frustrent. Il faut reconnaître qu'un adolescent n'est pas spécialement enchanté de lire un livre où il sait pertinemment qu'il passera plus de temps à employer le dictionnaire que cet ouvrage. Encore une fois, un roman court écrit avec simplicité peut constituer une alternative qu'il ne faut pas bouder. La quantité n'a jamais été critère de qualité : pour preuve, un petit tube de colle peut être bien plus efficace qu'un autre, plus volumineux. Le succès ne provient pas de la quantité de produit mais de sa composition. Il ne s'agit pas non plus de dénigrer les «pavés » qui ont, eux aussi, leurs avantages et leur charme.
       La polémiste Lise-Marie Jaillant préfère justement les romans courts « tout simplement parce que l'intrigue est plus resserrée. Bref, il n'y a pas de pages en trop...Autrement dit, mieux vaut supprimer des passages inutiles et resserrer sa narration, plutôt que de se complaire à écrire des pavés... » Cette phrase en dit long sur la raison d'être de ce «sous-genre» littéraire. Stephen King écrivait aussi : « Second draft = First draft - 10% » ce qui veut dire « deuxième brouillon = premier brouillon – 10 % ». De même, que dire des lecteurs qui sautent des pages pour éviter les descriptions les plus denses ?
La place du lecteur dans un univers plus naturel
        Dans notre vie, dresse-t-on l'analyse psychologique de notre boulanger ou de notre facteur ? Retenons-nous les moindres détails qualifiant notre entourage ou de parfaits inconnus ? Est-il bien réaliste de faire pratiquer à nos personnages la méthode Sherlock Holmes au quotidien ou de passer son temps à écrire des histoires à l'eau de rose qui relèvent du conte de fée ? N'est-il pas préférable d'être plus naturel, et lorsque c'est possible, plus proche de la réalité (sauf, bien entendu en science-fiction et fantasy) ? Il ne s'agit pas de faire la guerre à la fiction puisqu'un véritable écrivain est justement un auteur de fiction (il invente, imagine et construit selon son inspiration) mais de faire comprendre que dans un roman court, on ne détaille pas les profils psychologiques des personnages, on ne s'attarde pas à créer des phrases alambiquées ou encore à se perdre dans d'interminables descriptions. L'être humain désire rêver en ces temps moroses mais a-t-il besoin de tant de descriptions pour se plonger dans un personnage ? De même, il existe sans aucun doute un paradoxe contemporain : on a souvent tendance à dire qu'en temps de crise, les lecteurs choisissent des livres pour fuir leur quotidien et la réalité qui les entoure. Pourtant, lorsque l'on observe les best-sellers actuels, on remarque que c'est le contraire qui se produit : les romans les plus réalistes n'ont jamais eu autant de succès. C'est l'avènement du roman de témoignage, une sorte de fiction-réalité qu'on pourrait appeler roman "réaliste".
        On reproche souvent au cinéma de nous imposer les images. Qu'en est-il de l'auteur qui décrit une scène avec perfection ? N'est-ce pas une autre façon d'imposer, à son lecteur, une certaine image et sa propre volonté ? Il est évident qu'un écrivain inscrit un certain nombre de détails qui constitue des référentiels nécessaires : une sorte de base (s'il fait jour ou nuit, le lieu, quelques détails plus ou moins généraux en fonction du passage : si nous sommes sur une scène de crime, on donnera, bien sûr, une description plus détaillée nécessaire au lecteur). Mais ce dernier n'est pas tenu de tout découvrir dans les descriptions, il doit pouvoir s'imaginer, avec ses «propres visions», les scènes du livre. C'est en cela qu'un livre est vivant et qu'il fait voyager son lecteur dans un autre monde. Il n'y a pas d'un côté un émetteur (l'écrivain) et de l'autre un récepteur passif (le lecteur). Cela doit être interactif, une sorte de connexion entre les deux doit s'opérer pour que l'alchimie émerge et que l'on puisse apprécier un livre. Si l'on vous parle d'un inspecteur laid, vous pouvez le deviner victime de l'acné, ridé ou encore avec de petits yeux de fouine. En revanche, s'il est laid du fait de son gros nez, on vous impose un détail de plus qui n'était pas forcément nécessaire et qui peut même devenir gênant, si vous ou votre subconscient, vous en faisiez une autre représentation.
En conclusion
        La littérature possède un merveilleux potentiel qu'il convient de ne pas gâcher. L'écrivain a le devoir de guider la littérature vers une nécessaire adaptation : le roman court est à présent incontournable même s'il ne doit pas constituer, à terme, un monopole. La diversité est notre principale richesse, il convient de la défendre. Le roman court doit pouvoir se faire une place au sein de ses semblables. Il n'est pas un genre à part puisqu'il se décline dans tous les genres (de la science-fiction, au policier en passant par le fantastique, l'humour ou encore l'aventure). Nous l'aurons bien compris, le roman court concentre de nombreux atouts qui ne manqueront pas de séduire le public. Cet hymne au roman court n'est certainement pas une condamnation du roman traditionnel. Écrivons aussi des romans tout court !